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L’Interview Select: Gilles Bensimon se dessine en confidences

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Le commun des mortels le connaît comme l’un des plus grands photographes de mode. Les plus divines ambassadrices ont posé, posent pour son objectif, à l’international. S’il en a lancé plusieurs, il ne saurait s’en attribuer les mérites. Modestie oblige. Il en a aimé. Les a toutes sublimées. Par ce regard unique : pétillant et sensible. Au compteur de son inspiration, plus de quatre décennies de portraits. Noir et blanc, couleurs, Gilles Bensimon aura été l’oeil de tous les podiums, de toutes les saisons qui défilent. Mais aussi celui d’autres galaxies : cinéma, télévision, sport, musique. Jusqu’ici, seuls ses proches suivent, au gré de notifications Whatsapp matinales (à l’heure new-yorkaise). Et le savent, cœur épris d’un autre mode d’expression que la photo : le dessin. 

Gilles Bensimon révèle ses bonnes feuilles (mais pas toutes), comme l’élève inspiré rendrait sa copie. Poussé par un bel élan d’enthousiasme, tempéré par la crainte… Quelques-unes de ses œuvres, longtemps restées confidentielles, s’exposent : « cinquante, précisément », sourit le galeriste Edouard Larock, 4e d’une lignée de férus d’art.

Dès aujourd’hui, ses portes et ses cimaises s’ouvrent sur cette exposition événement, Workonpaper, à arpenter jusqu’au 15 octobre.

Rencontre-interview, de confidences en confessions mystiques:

Gilles Bensimon

Le dessin, une passion de longue date sur laquelle la photo a pris le dessus ?

Mes arrière-grands parents et grands-parents étaient antiquaires, ma mère est peintre, mon père a eu des activités diverses sans doute, il y avait une ambiance d’art dans la famille… J’ai commencé très tôt le dessin. J’ai commencé avant mes cinq ans. Ma mère ne sachant pas, que faire pour cette dyslexie, s’est dit peut-être que ce serait bien qu’il prenne des cours de dessin. J’ai fait plusieurs choses pendant un moment, j’ai même peint sur des surfaces importantes, pensant que ce serait thérapeutique…

Mais pratiquer le dessin vous plaisait-il à cette époque ?

Je ne m’en souviens pas. Mais comme il n’y avait pas de présence familiale écrasante, on était très indépendants. On passait du temps chez nos grands-parents, la rigueur venait quand on allait chez eux. Donc une sorte de bourgeoisie tournée vers les arts, tout une époque où j’allais aussi dans les musées avec mon grand-père ou j’y allais tout seul. Il n’y avait personne, les musées étaient vides. On y allait souvent. Le gardien me disait, vous êtes tout seul, cette semaine. J’étais très passionné par les peintures de Gustave Doré. J’ai très peu de mémoire de l’enfance.

La passion pour l’art est-elle venue naturellement ?

D’abord je ne voulais pas être artiste, surtout pas. Mon père n’était pas très présent, on n’était pas proches de lui. Il était très mondain.

Les arts plastiques vous ont donc permis de créer votre propre univers…

Avec mes frères, oui. Et avec notre père, nous avions des discussions sur le peintre Nicolas de Staël. Je ne le trouvais pas intéressant.

Avez-vous changé d’avis, depuis ?

Non. Je trouve que c’est une peinture qui n’est pas… qui ne me touche pas beaucoup. Mais je suis curieux de tout et je ne cherche pas à avoir une opinion. Quand je vais voir des expositions à New-York, d’art contemporain et que cela ne me plaît pas, je reviens la voir, il y a ce qui me touche, que l’artiste soit connu, pas connu…

Pour le public, cette exposition est un événement majeur, car l’on ne vous savait pas dessinateur. On vous connaît photographe mais pourquoi pas, dessinateur aussi ?

Parce que je ne le montrais pas.

Pourquoi avoir tenu ce talent secret ?

Pas de manière secrète, non. J’ai toujours dessiné, mais souvent je ne gardais pas les dessins dans les carnets que je jetais, au travers des déménagements et puis, j’habite seul à New-York, que j’aime beaucoup, je suis Américain aussi, et je dessine toute la journée. Quand j’ai le temps. En général, dès sept heures du matin. 

Pourquoi la photo a-t-elle pris le dessus alors, au vu de votre production ?

Gilles Bensimon
Gilles Bensimon

Je ne sais pas car je ne voulais rien faire…(sourires). Je pense que je n’ai pas de style photographique.  Il y a de très grands photographes de mode tels qu’Helmut Newton, des gens qui utilisent, qui construisent une image, qui fabriquent des personnages, une ambiance. Moi pas du tout, je pense que toutes les femmes sont belles et j’essaye d’attraper quelque chose. Récemment j’ai photographié Laura Smet. L’endroit n’était pas idéal mais finalement on a fait des photos d’elle et elle était contente j’imagine. J’ai aussi photographié Sarah Poniatowski. 

Songez-vous à donner un prochain volet à cette exposition Workonpaper, grâce à tous vos autres dessins non exposés?

J’ai une amie dans le Bordelais, qui souhaite que j’y expose mais qui va venir sinon pour le vin ?

Que représente cette exposition dans votre vie? 

Gilles Bensimon
Gilles Bensimon

Cette exposition est une thérapie pour éviter de se suicider. Suicider d’une manière ou d’une autre. Suicider cela veut dire d’arrêter toute activité. Aujourd’hui je dois bien faire une dizaine de couvertures quand même, trois à quatre-cents photos par an. Mais c’est intéressant car on a assez peu de moyens, comme quand j’ai commencé. Quand je peins je ne mets pas de musique, je vois le soleil qui rentre le matin. Je commence, je mets de côté, je reprends, je mets dans une boîte dès qu’il est sec.

Tous les ans je vais à Biarritz, l’été. Chez mes amis, je dessine, une partie de l’été et quelqu’un m’a dit « je vais en acheter vingt »… Je me suis dit ce n’est pas une bonne idée… Il m’a dit « voilà je serai le premier », c’était il y a deux ans. Mes dessins, j’aime bien les garder dans des boites. Ou les donner…Beaucoup de gens m’ont dit pourquoi lui as-tu vendu à lui, et pas à moi ?

Avez-vous une idée du nombre de dessins et de collages que vous avez déjà réalisés ?

Gilles Bensimon

J’ai fait une exposition qui s’appelait Gri-gri aux Etats-Unis. En tout j’en ai fait des milliers. Il y en a un chez Carla Bruni. Il n’est pas encadré. Je le lui ai donné, elle a dû le prendre (rires). Je ne les signe pas.

Quelle importance l’art revêt-il dans votre existence ?

Pour moi ça commence avec les objets préhistoriques, l’art africain, l’art océanien, où personne n’a signé mais c’est signé par essence, c’est là, on voit le détail des choses. Ce sont les mêmes dessins qui racontent les mêmes choses. En Islande vous voyez des granges à la campagne, qui ont la parfaite proportion mais il n’y a pourtant aucun architecte. Donc je pense que l’art émane de celui qui ne peut pas exprimer quelque chose par écrit ou par des mots. Ecrire c’est un truc que je ne ferai jamais…

Dessiner c’est plus mystique, l’idée de la mort, le MET à New York, où j’aime parcourir toutes les époques. Je peux commencer par l’Antiquité, repartir sur l’art océanien…

Votre état d’esprit, avant d’accueillir le public ?

Un peu angoissé. J’envoie à mes amis tous les jours un dessin. J’entends des choses du style « c’est le bleu Klein ». Alors je dis non, il y a le bleu du ciel, la mer, les yeux bleus. Ou encore dire des choses comme « je n’aime pas Picasso », alors je réponds « c’est dommage parce que s’il l’avait su, il aurait peint différemment » (Rires). J’aime découvrir des peintres. 

Vous avez Whatsapp ? Je vous enverrai un dessin. 

A ne pas manquer, Workonpaper, à la galerie Larock-Granoff,

 du 14 septembre au 15 octobre.

13, quai de Conti 75006 Paris

Interview réalisée par LUCILE GELEBART

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